Mon immersion en territoire Mapuche (Episode #2)

Mon immersion en territoire Mapuche (Episode #2)

– Témoignage d’une résistance culturelle à travers le tourisme communautaire –

Temps de lecture : 7 minutes

Suite d’une série consacrée à mon expérience de volontariat en territoire mapuche, durant mon voyage en Amérique du Sud de février à août 2018.

 

Retrouvez la première partie de ce témoignage ici.

 

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Chili, Automne austral, Avril 2018.

Le feu crépite dans le four traditionnel de la maison familiale. La théière installée juste au-dessus signale, par un doux sifflement, que c’est l’heure de servir le maté qui va nous réchauffer.

C’est au sein de leur domaine niché entre les forêts d’Araucaria de la Cordillère des Andes que Benita Panguilef et Alejandro Coñoequir, représentants de la communauté mapuche Camilo Coñoequir Lloftunekul, m’ont ouvert les portes de leur foyer durant 10 jours. 

Entourée de leur grande famille aimante, d’une nature belle et préservée, et me faisant témoin d’une résistance quotidienne pour la conservation de leurs mode et qualité de vie, mon temps passé auprès d’eux m’apportera nombre d’enseignements sur mon rapport personnel à « l’Autre ». 

À travers une série d’épisodes thématiques, je vous propose de revivre avec moi cette riche aventure humaine. Une façon, à mon niveau, de donner un peu de visibilité à cette famille mapuche qui, par le développement d’un tourisme indépendant et communautaire, se bat chaque jour pour valoriser son identité culturelle, pour conserver ses terres ancestrales, et plus globalement, pour faire valoir les droits les plus naturels de son peuple d’appartenance.

 

Episode 2 – Dans la peau d’une mapuche

Mon activité quotidienne de volontaire

     Dès mon arrivée, je suis mise dans le bain. Ma famille d’accueil m’accepte directement parmi les leurs, mais les premiers jours sont un peu difficiles pour trouver mes repères. Je ne sais pas quoi faire de moi-même, dans ce tourbillon de mouvements et d’animation. Mais c’est ça l’immersion ! Ils ne vont pas stopper leurs activités pour mes beaux yeux ! À moi de trouver ma place pour rentrer dans leur dynamique.

     Je prends peu à peu mes marques en aidant Benita d’abord à la vaisselle, puis en participant aux autres activités quotidiennes familiales : découpage et lavage de légumes pour la préparation des repas des touristes, dressage des tables, nettoyage de la salle du restaurant et de la maison (fenêtres, sols, salles de bain…), réorganisation de la serre à fruits et légumes en y retirant les mauvaises herbes, nettoyage des pommes pour la vente, extraction de la « Chicha »1Sorte de cidre de pommes immatures avec l’aide d’Alejandro, disposition du bois à transporter en voiture, etc. On n’a jamais le temps de s’ennuyer ici, d’autant que les touristes affluent du lundi au dimanche!

 

La serre que j'ai nettoyé toute seule comme une grande !

     Prise dans le mouvement du travail quotidien, les discussions avec la famille se font au début très mesurées. Aussi, je suis désavantagée par ma timidité naturelle, mêlée à mon manque de confiance en mon espagnol débutant.

 

    Mes moments d’échanges avec Alejandro restent d’ailleurs ma plus grande des frustrations : j’ai de grandes difficultés à comprendre sa manière de parler… bien qu’il soit très bavard ! En tant que longko de sa communauté, il aime en effet m’apprendre des choses, rire, discuter de multiples sujets. Mais, lorsque nos conversations ne sont pas traduites par l’un de leurs enfants, elles ressemblent à un dialogue entre sourds…!

     Benita est quant à elle très réservée. Elle ne parle que lorsqu’elle a quelque chose d’utile ou de pertinent à exprimer.  

Malgré tout, chaque journée passée à travailler à ses côtés est un pas de plus dans la confiance qu’elle m’accorde. Elle s’ouvre peu à peu à moi, notamment dans nos moments de pause autour du maté. Sans même la questionner, elle me raconte ainsi des bribes de son enfance et m’explique les problèmes auxquels sa communauté est aujourd’hui confrontée.

L’économie communautaire de Benita et les siens

     Avec ses mots, Benita me traduit la situation : sa famille a dû « s’adapter aux nécessités de la société actuelle dirigée par la plata2l’argent». Dès lors, son activité de tourisme solidaire permet aux siens de rester économiquement indépendants, de bien-vivre, de n’avoir de comptes à rendre à personne et de valoriser leur culture auprès des touristes, pour les sensibiliser à la nécessité du respect de leur mode de vie.

Peinture murale représentant l’activité économique communautaire de Currarehue

     En somme, leur entreprise familiale d’ethnotourisme constitue leur arme de résistance face l’Etat chilien, à la société de globalisation et face à l’assimilation culturelle. Leurs enfants contribuent à cette lutte à travers leurs propres activités dans l’agriculture biologique et dans le tourisme écologique et solidaire.

     En effet, Pablo aide ses parents à gérer l’activité de gastronomie et de découverte de la culture mapuche (il est guide touristique et spécialisé dans la construction d’habitats durables). Marie-Sol est apicultrice sur le terrain familial. Elle est aussi en train d’élargir son activité pour devenir cultivatrice de plantes médicinales et herboriste. Fabiola et son compagnon français élèvent des canards en hiver et vivent de leur entreprise d’écotourisme durable, local et communautaire en été. Il s’agit du réseau « Rutas Ancestrales Araucarias », qui associe de nombreuses familles mapuche du village (dont la leur). Enfin, Claudia gère des maisons d’hôtes.

Le domaine familial et son cadre bucolique

De l’importance des femmes dans la transmission de la langue mapuche

     En dehors de son activité d’hébergement touristique, Claudia est aussi et surtout institutrice en école maternelle. Dans son métier, elle s’attache à enseigner le mapudungun aux enfants de 1 à 5 ans. Elle trouve une grande fierté dans cette mission de transmission linguistique et culturelle aux jeunes générations. Pour elle, les femmes, qui sont d’ailleurs les seules à enseigner aux enfants en bas âge dans son école, ont un rôle crucial dans la conservation de l’identité culturelle mapuche. À travers l’éducation que celles-ci offrent aux plus jeunes, elles sont les premières instigatrices de cette résilience culturelle.

     Pourtant, Claudia a vécu des tensions avec son supérieur hiérarchique qui était antérieurement réticent à cet enseignement linguistique. Dans les écoles publiques, la culture coloniale est en effet imposée avec l’espagnol pour seule langue officielle reconnue à ce jour au Chili.

     Néanmoins signe d’évolution des mœurs, les écoles privées et publiques chiliennes ont depuis peu la possibilité d’enseigner le mapudungun dès la petite enfance. Du matériel écrit est fourni par le gouvernement pour faciliter cette transmission. Encore serait-il pertinent que les variantes régionales de cette langue vivante à la riche sémantique et aux différents accents soient prises en compte.

Claudia Panguilef-Conoequir sensibilise, jusqu’en France, le public au respect de sa culture (séminaire-débat, Paris, 2018)

 Quoiqu’il en soit, Claudia m’explique qu’un mouvement de revalorisation des cultures autochtones du pays prend forme au sein de la nouvelle génération. Les jeunes mapuche ont de plus en plus conscience de l’importance de garder vivante leur identité et ont besoin de renouer avec leurs racines. Alors que cette langue se perdait jusqu’à encore récemment, les jeunes commencent ainsi à reparler mapudungun entre eux.

     De son côté et en tant qu’institutrice, le combat de Claudia dans cette transmission culturelle reste quotidien.

La jeunesse mapuche fait notamment le pont entre sa culture traditionnelle et les formes d'expression artistiques contemporaines

Solidarité communautaire et ambiance décontractée à Currarehue

     Durant mon séjour, l’immense solidarité qui règne au sein du foyer de Benita et Alejandro est surement l’une des choses qui m’aura la plus marquée.

     Les membres de la famille, unis autour des activités de tourisme et d’agriculture locale, s’aident mutuellement et quotidiennement les uns les autres. Chaque fois qu’ils en ont l’occasion, les enfants passent chez leurs parents pour aider à la vaisselle, à la cuisine, au dressage des tables, au ménage, à la coupe du bois, à l’alimentation du feu, etc.

     Cette solidarité s’étend à l’ensemble des communautés mapuche du territoire Trankura et de Currarehue. La famille Panguilef/Coñoequir prête en effet main forte aux membres de leur lof3Espace d’appartenance de la famille élargie et entité de base du système socio-politique mapuche et d’autres lof. Elle reçoit avec grand soin les nombreux amis mapuche venus des quatre coins du Chili et de l’Argentine. En retour, ceux-ci épaulent la famille à la moindre occasion. Pour tout dire, durant mon séjour, il ne s’est passé un jour sans que nous ayons reçu la visite de plusieurs de leurs consœurs et confrères !

La famille reçoit régulièrement ses amis d’autres lofs mapuche chiliennes et argentines (+ une française tout à droite ^^)

     Le travail est aussi rythmé par de nombreuses pauses bien méritées, qui rassemblent la famille. Ces moments privilégiés sont l’occasion de se reposer, et de partager tranquillement des discussions autour d’un petit maté.

     Ici, si l’on travaille beaucoup, ce n’est, en effet, jamais sous pression. Tout le monde veille sur le bien-être de tout le monde, et les membres de la famille s’adonnent à leurs activités quotidiennes avec patience et plaisir. Ce rythme de vie me fait du bien. Malgré mon travail prenant auprès de Benita, je me suis ainsi sentie rapidement apaisée dans la tête comme dans le corps. Une bonne cure de quiétude pour la boule de nerfs que je suis…!

     Cette ambiance décontractée est contrastée par des moments plus « tendus » où l’on doit répondre à des demandes de groupes touristiques dans des délais serrés. Dans ces temps-là, tout le monde met alors la main à la patte.

     Ce calme ambiant est également interrompu par des moments plus festifs, qui m’auront tout autant marquée que cette solidarité intercommunautaire. Les Mapuche savent faire la fête et profiter de la vie !

     Tous les dimanches, après une dure semaine de labeur, Benita et Alejandro organisent ainsi un grand repas familial où sont souvent conviés leurs amis. 

     J’ai participé deux fois à ce grand rassemblement. Intégrée à la famille, j’ai passé mes soirées dominicales à danser et à parler avec eux autour du feu de cheminée réconfortant de la salle de restaurant annexée à leur maison. Ces moments de partage sont gravés dans ma mémoire.

Place au partage, à la fête et aux bons petits plats maison !

*****

     Entourée d’un paysage aussi envoutant qu’apaisant, mon séjour d’immersion m’apprend à mieux comprendre l’intime connexion de ces « hommes de la Terre »4 Ce que signifie « Mapuche » à leur environnement. Le lien aux éléments du Vivant, terrestres et aquatiques, est en effet fondamental à la vie des Mapuche. Aussi, mes promenades solitaires autour du domaine familial me rappellent à une douce pensée pour ce territoire d’une richesse biologique incroyable. Autant d’histoires à vous conter dans un prochain épisode…

 

Retrouvez la suite de mon reportage consacrée à mon expérience de volontariat en territoire mapuche ici.

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