Immersion dans la vie d’une famille d’Amazonie péruvienne
Christelle Commentaires 0 Commentaire
La Casa de Wilder et Jessica
En 2018, j’ai eu l’honneur, dans le cadre de mon itinérance de 6 mois en Amérique du Sud, de partager le quotidien de la famille de Jessica et Wilder durant 5 jours sur les bords de la rivière Tahuayo, à 7h en bateau lent depuis Iquitos.
Cette expérience a été rendue possible grâce à l’association Latitud Sur Pérou (qui n’existe plus aujourd’hui) et l’association ARUTAM Zéro Déforestation, son association-mère implantée en France, qui m’ont, à l’époque, mis en contact avec Wilder.
Loin des « clichés » sur l’Amazonie véhiculés par les médias occidentaux, cette expérience a été simple et authentique à la fois.
Née dans la tête de Wilder avec l’aide des deux associations françaises, cette initiative d’écotourisme s’inscrit dans une logique de financement de projets en faveur de la préservation de la biodiversité amazonienne et du bien-vivre des populations locales.
Je présente le projet d’écotourisme de Wilder, le village de Canaan ainsi que la manière dont l’argent des voyageurs est réinjecté dans des projets socio-environnementaux à travers ce petit documentaire.
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Si vous êtes intéressé.e.s , vous aussi, pour vivre une telle immersion, n’hésitez pas à m’envoyer vos questions. Je peux aussi vous mettre directement en contact avec Wilder et son fils Neil 🙂
L’ensemble des détails logistiques à connaître pour réserver l’aventure se trouve à la fin de cet article.
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Le présent article a également été publié dans la revue Globe-Trotters de l’association ABM (N°193 – sept/oct 2020).
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LES PREMICES DE L'EXPERIENCE
Après un séjour de rêve dans la réserve nationale Pacaya Samaria et une courte halte dans la bruyante et chaotique ville d’Iquitos, me voilà partie pour 5 jours d’immersion au sein d’une famille d’Amazonie péruvienne.
J’ai la chance de vivre cette belle expérience grâce au partenariat mis en place avec l’association Latitud Sur – antenne de l’association française ARUTAM – située à Iquitos au Pérou.
Cette organisation s’attache à renforcer l’autonomie et la capacité d’autogestion des communautés natives des territoires de Haute-Amazonie et du Mexique.
Dans le cadre de cet accord, l’objectif est de documenter mon expérience d’immersion dans une famille amazonienne ayant adopté des initiatives en faveur de la protection de l’environnement et, du côté de l’association, d’assurer la promotion de l’activité d’écotourisme de Wilder, dont le projet et les infrastructures ont reçu l’aide financière.
WILDER, SA FAMILLE ET SON LIEU DE VIE
Wilder est venu me chercher directement à Iquitos. Sa famille et lui habitent à 7h de la grande ville, en bateau lent. Depuis le quartier populaire de Belen, nous empruntons une lancha, comme ils appellent ce type d’embarcation ici. Sur le fleuve Amazone, ce petit rafio de bois fait office de bus public. Il marque un arrêt sur les bords de chaque village, embarquant et débarquant personnes et vivres à chaque accostage.
Ce voyage constitue déjà en lui-même une plongée dans l’atmosphère amazonienne. À bord, le rythme est au ralenti. Lovée dans mon hamac, je me laisse bercer par le bruit des trombes d’eau qui s’abattent, à mi-chemin, sur notre embarcation. Mes narines sont enveloppées par des odeurs mélangées de pluie tropicale et de friture émanant de la cuisine du bateau. De temps à autre, je m’assois sur un banc du ponton pour écouter les discussions animées, observer les mouvements des personnes, et échanger quelques mots avec les locaux les plus curieux de ma présence à bord.
Après cette longue traversée, nous voici arrivés à Canaan. Il s’agit d’une petite communauté rurale de 200 âmes et de 35 familles située sur les rives d’un affluent d’eaux noires de l’Amazone – le Tahuayo. Nous sommes ici en plein cœur de l’aire de conservation régionale Tamshiyacu-Tahuayo, s’étendant sur un peu plus de 400.000 hectares.
Je suis accueillie à coup de grands sourires par tous les membres de la famille de Wilder : Jessica, sa femme, Wilder (8 ans), Neil (11 ans) et Mike May (14 ans), leurs trois fils. Il y a aussi Rocky, le toutou de la famille !
Des cousins et des enfants du village font partie du comité d’accueil. Les moustiques sont également au rendez-vous pour m’accueillir comme il se doit… ! À peine le pied posé au sol, je deviens leur sucrerie favorite !
Chaque personne présente à quai nous aide à porter sacs et nourriture jusqu’à la maison, pour ces 5 jours de vie locale. En l’échange de ce service, Wilder offre une petite « rémunération » à chacun des participants.
La famille habite à 10 min à pied du village, directement dans la jungle.
Autour de leur propre maison, Jessica et Wilder ont construit, et construisent encore, plusieurs cabanons pour les touristes. Je dormirai dans l’un d’eux, semi-construit mais disposant de l’essentiel : un lit, sa moustiquaire et un hamac.
Les sanitaires se situent à l’autre bout du domaine familial.
On se lave dans des cabines à l’aide de bidons remplis d’eau de la rivière et de petites écuelles. Pour les WC, c’est le même système, on met de l’eau de la rivière dans le trou des cabinets pour l’évacuation ! (Edit : Depuis ma venue, des toilettes sèches ont été installées par la famille pour éviter ainsi la contamination du fleuve).
LE PROJET DE WILDER, « CREER UN TOURISME D’EXPERIENCES »
Wilder est un homme d’une quarantaine d’années au sourire franc et généreux. Son regard et sa manière de s’exprimer trahissent en lui une grande sensibilité et empathie pour les personnes de son entourage. Une attitude que je ne manquerai pas de remarquer dès notre traversée en bateau : Wilder discute avec tout le monde et n’hésite pas à offrir des repas chauds à deux mamies sans le sou. Dès l’âge de 13 ans, lui et ses frères et sœurs, abandonnés par leur père, travaillent pour aider leur mère et leur grand-mère à subvenir à leurs besoins. Wilder devient alors cultivateur, pêcheur et vendeur de poissons d’ornement, mais dans sa tête germe déjà un autre projet…
Sa relation étroite avec les éléments de la terre et de l’eau, doublé à son besoin naturel de partage avec l’Autre, l’amènent à imaginer une activité qu’il nomme tourisme d’expériences.
Son chemin croise alors celui de Philippe Gras, responsable de Latitud Sur à Iquitos. Depuis 7 ans (ndlr : en 2018), son rêve se concrétise grâce à la collaboration initiée entre les deux hommes. Son projet s’affine encore de mois en mois.
Que propose ainsi Wilder dans le cadre de son écotourisme ?
Je vous propose ici un petit tour d’horizon tiré de ma propre expérience.
VIVRE LA JUNGLE AMAZONIENNE
En immersion dans la famille de Jessica et Wilder pour 5 jours, je participe à leur « routine » dans la forêt. Un séjour qui se révèle riche de rencontres, de culture et de nature.
Mon premier jour est consacré à des activités de pêche avec Wilder et ses fils sur le fleuve Tahuayo. Nous rencontrons notamment les fameux dauphins roses qui sortent furtivement de l’eau !
Le jour d’après, Wilder et moi partons pour une petite balade dans la jungle. Cette « mini » randonnée est pour moi l’occasion de découvrir de petits lieux enchanteurs, cachés par une végétation luxuriante. Je me sens toute petite face à l’immensité de ce vert tropical. Et un arbre est un arbre, tout se ressemble ! Wilder est en cela un guide précieux dans la reconnaissance des chemins qu’il élague à la machette.
L’observation de la faune et flore de la forêt est également centrale durant notre marche. Nos yeux et oreilles croisent buses, perroquets, oiseaux plongeurs, phasmes, araignées, fourmis géantes, poissons tels que carachama, singes hurleurs, tortues, arbres Renacos et palmiers « marcheurs ». Captivée par l’Amazonie depuis mon enfance, mon rêve est en train de se réaliser !
Notre balade est encore l’occasion pour Wilder de m’apprendre les fonctions de (nombreuses !) plantes médicinales rencontrées sur le chemin (telles que l’Uña de Gato pour renforcer le système immunitaire ; et le sacha-tabacco pour soulager les piqures de moustiques).
Les histoires et légendes amazoniennes font partie du programme. Tout au long de mon immersion dans sa famille, Wilder m’en partage quelques-unes, transmises oralement par ses grands-parents et avant eux, par ses ancêtres. Je me sens privilégiée de pouvoir écouter ces récits remplis de symboles dans la vie des locaux.
Nos échanges interculturels sont prégnants. Un jour, Jessica, la maman, m’apprends à cuisiner des mets Amazoniens, tels que la patarasca de poisson (un vrai délice !), un autre jour c’est moi qui leur apprends à faire des crêpes et du pain perdu (seuls plats réalisables avec les ingrédients que l’on puisse trouver dans le petit kiosque d’un village voisin situé à 1h de route en bateau… !).
Sur ma demande et parce que l’artisanat local est un domaine qui me rends très curieuse, la maman de Wilder, Helena, m’apprend également à confectionner des colliers avec des graines de la jungle, et à tisser des objets avec des fibres de Chambila, une sorte de palmeraie piquant.
Les enfants de la famille me montrent avec fierté leurs talents artistiques autour du dessin, et de la sculpture sur bois pour le plus grand. À mon tour, je leur joue quelques morceaux simples à la guitare comme Les Cactus de Dutronc. Les enfants sont très curieux ! Neil étant d’ailleurs attiré par la photographie, je lui prête mon appareil pour immortaliser des moments passés tous ensemble.
Nos partages s’étendent à la rencontre des autres habitants du village.
Wilder m’emmène notamment visiter les cultures de cacao, de bananes plantains, et de manioc tenues par un vieil homme qui aime manger des rats en brochette… !
Vers la fin de mon séjour, je partage un goûter de fèves fraîches de cacao avec les enfants (un vrai régal !) ainsi qu’une partie de foot avec eux (autant dire que j’ai perdu la partie ET un litre d’eau de transpiration sous la chaleur tropicale… !). Pour nous rafraîchir, les enfants me font partager leur moment préféré de la journée : se baigner dans le Tahuayo quand le soleil commence à tomber !
Enfin, je crois pouvoir dire avec du recul, que deux moments m’ont sensiblement marquée, et resteront à jamais graver dans ma mémoire :
– s’endormir au son berceur des animaux nocturnes (insectes, grenouilles, oiseaux et singes) et être réveillée, au petit matin, par les bruits entremêlés des animaux diurnes de la jungle et du village (coq, chiens) un peu plus loin. Cette atmosphère sonore m’a procuré une sensation de béatitude qui me donne encore aujourd’hui la chair de poule… ! La féérie a d’ailleurs été complète lorsque, prête à fermer les yeux, ceux-ci ont été illuminés par des lucioles blanches venues se coller à la moustiquaire de mon lit (certains comptent les moutons, moi ce sont les lucioles !).
– rencontrer un gigantesque arbre Renaco et découvrir les mythes amazoniens autour de celui-ci. Le Renaco est un arbre aux larges lianes, puissant et « colonisateur » aussi appelé Mata palo. Il entoure les arbres qui le gênent, les étouffe jusqu’à la mort, puis prends leur place pour se développer… ! C’est un arbre auxquelles les communautés attribuent un grand respect (symbole de force, magie, amour sincère et durable).
LES BIENFAITS DE L’ECOTOURISME À CANAAN
« Nous pouvons améliorer notre qualité de vie sans déboiser la forêt »
– Wilder, à propos du projet communautaire de replantation du Bois de Rose mené dans la forêt primaire entourant son village.
L’activité et l’engagement de Wilder pour sa communauté et son environnement apportent une dynamique économique progressive et durable à l’échelle du village et de ses alentours. L’initiative permet en effet d’impliquer l’ensemble des villageois dans le projet (présentation de plantes médicinales, de l’artisanat local, etc.), et de répercuter les bénéfices financiers directement auprès d’eux (pour la construction de ponts, de petits bateaux, la rénovation des locaux communaux, etc.)
La volonté de Wilder d’améliorer les conditions de vie des habitants l’a d’ailleurs conduit à devenir l’autorité de sa localité.
Il s’est, à ce titre, investi dans des projets parallèles qui ont tout autant d’impacts positifs.
Il se consacre d’abord à la sensibilisation environnementale des locaux (et non pas uniquement à celle des voyageurs se rendant sur les lieux).
Parmi les bonnes pratiques adoptées, on peut citer l’arrêt de l’utilisation immodérée du Barbasco, une plante dont le « lait » toxique est traditionnellement utilisé par les habitants pour pêcher le poisson des rivières. Avant cela, l’emploi de ce poison tuait les espèces aquatiques en masse, sans aucune sélectivité. Les poissons disparaissaient alors de la rivière pour de longues périodes, perturbant l’écosystème et privant les locaux de la ressource piscicole, principal moyen de subsistance en Amazonie.
Une gestion communautaire et durable de l’arbre Bois de Rose a aussi été mise en place par les habitants de Canaan.
Connu pour l’odeur envoûtante de son huile essentielle, le Bois de Rose fait, depuis le XXème siècle, le bonheur des marchés mondiaux du parfum et des cosmétiques. Aujourd’hui en danger de disparition du fait de son abattage massif et illégal en forêts tropicales, des alternatives émergent pour garantir le maintien de l’espèce, le reboisement des forêts natives, ainsi que l’amélioration du niveau de vie des populations locales qui dépendent économiquement de cette ressource. À Canaan, Wilder et l’ensemble des habitants sont associés, depuis 2018, à l’entreprise Raices Verdes pour replanter et gérer durablement cet arbre précieux en forêt.
La dynamique enclenchée par Wilder fait des émules. Certains villageois réintroduisent, par exemple, des spécimens d’espèces protégées en forêt. D’autres ont l’envie de créer leur propre activité « éco-responsable », et de partager à leur tour leur expérience et leurs savoirs ancestraux auprès des voyageurs.
Il semble finalement que l’émergence d’une conscience collective née des bénéfices apportés par l’écotourisme, permette aux habitants de Canaan de se libérer de la surexploitation des ressources naturelles pour garantir, à plus long-terme, le bien-vivre de leurs générations à venir.
Détails logistiques à connaître avant de partir
Séjour en immersion complètement personnalisable dans la durée et dans le contenu des activités (vous pouvez demander à faire une randonnée dans la forêt amazonienne, être instruit sur les plantes médicinales de la forêt, pêcher dans la rivière, apprendre à faire des colliers, des paniers, ou autres objets d’artisanat amazonien, comprendre le système d’agroforestrie amazonien et rencontrer des producteurs, etc…) => tout peut faire l’objet d’une discussion !
Le tarif du séjour est décompté par journée par personne : 50 USD / personne / jour.
Ce tarif comprend le voyage en bateau long de 7h depuis Iquitos (une aventure en lui même !), ainsi que la nourriture, l’hébergement et les activités.
Si vous achetez de l’artisanat sur place, il faudra bien sûr ajouter un peu.
Il est impératif de savoir parler et comprendre un minimum l’espagnol 🙂
Des moments inoubliables de partage avec la famille en perspective
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Pour réserver votre séjour, rendez-vous sur le site internet de Latitud Sur.
Par l’intermédiaire de Jean-Patrick Costa de l’association ARUTAM, vous serez mis en contact avec Wilder pour l’organisation personnalisée de votre immersion dans sa famille.
ACTUALITE DE L’ECOTOURISME DE WILDER
Depuis mon séjour en 2018, la crise du Covid avait fait des ravages sur le plan économique au Pérou. L’écotourisme de Wilder n’y avait pas échappé même au fin fond de l’Amazonie (fermeture des frontières pour barrières sanitaires => plus de voyageurs).
L’antenne péruvienne de l’association Latitud Sur a également été emportée dans ce naufrage économique.
Mais la résilience et l’espoir font bien les choses !
Lorsque j’ai enfin clôturé le montage de mon petit documentaire vidéo (mettre lien), j’ai voulu prendre des nouvelles de la famille. Après quelques recherches, Jean-Patrick et moi avons retrouvé la trace de Wilder, qui, même si son activité était en stand-by depuis tout ce temps, avait toujours gardé l’espoir de la faire repartir un jour.
Nos retrouvailles nous ont permis, aujourd’hui en 2024, de faire revivre l’écotourisme de Wilder. La famille Fasabi est désormais directement accompagnée par l’association ARUTAM (et moi-même) pour la mise en contact des touristes.
De nouvelles cabanes sont dès à présent en cours de construction et vous attendent 😊
Afin de faire repartir l’activité, le prix par personne par séjour a également été baissé à 50 USD au lieu de 90 USD.
En photo, Wilder et Jessica, devant leur nouvelle cabane, prête à accueillir les voyageurs depuis fin octobre 2024 !
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